Coin web de Frédéric Péters

fpeters@0d.be

Le Logiciel Libre, avec trois L majuscules

16 octobre 2006, 14:49

Elle est un peu chahutée l'actualité des logiciels libres, ces derniers temps, et ça alimente pas mal de discussions aux quatres coins de la planète; il y a très longtemps il y avait eu une parodie, un magazine « Jeune et Linux », sur le modèle de « Jeune et jolie », en couverture : « Dossier : comment faire maigrir votre noyau avant l'été », « Linux : La première fois », « Êtes-vous RPM ou DEB ? ». Il y avait aussi eu un procès, c'est nul. (cf Si t'es jeune et Linux, t'as pas de pot pour l'histoire).

Ça n'a aucun rapport avec ce qui se passe maintenant, c'est juste que je préférais l'actualité d'avant.

Street Party

D'abord le débat planétaire, GPL version 2 ou version 3 ? Linus Torvalds s'est exprimé pour garder le noyau en GPL v2 et seulement v2. Du coup ça fait quand même du bruit, la GPL v3 est dépeinte comme plus restrictive, et supprimant des libertés. C'est cette conclusion, « supprimant des libertés », qui n'est pas correcte. Les libertés de la GPL v2, elles concernaient déjà l'utilisateur, pas le développeur (au contraire d'une licence de type BSD). Les nouvelles contraintes de la GPL v3, sur l'utilisation de DRM, de brevets, ça va dans le même sens, ce n'est pas le développeur qui est visé, c'est l'utilisateur, et la FSF juge que pour garantir sa liberté informatique à l'utilisateur, il faut passer par ces contraintes.

Bien sûr c'est une affirmation politique, comme l'était déjà la GPL dans ses versions précédentes, bien sûr aussi il y a des formulations sur lesquelles on peut discuter mais le fond du problème n'est il me semble pas là. L'important, c'est l'utilisateur. Et un utilisateur massacré sous les DRM et les brevets, la GPL v2 elle n'est lui est pas de grand secours.

Street Party

Ensuite le débat interne à Debian, débats multiples qui ont menés à des votes, symboles de blocage dans la discussion. Les deux sujets de controverse sont 1) la présence de firmware non libres dans le noyau et 2) le paiement de certains développeurs Debian pour assurer la sortie en date et en heure de la prochaine version.

La présence de firmware non libres, elle est connue depuis longtemps, c'est un problème depuis longtemps, l'équipe en charge de l'installateur l'a soigneusement évitée jusqu'à ce qu'il ne soit trop tard. Et c'est le dilemne habituel du contrat social Debian : « nos priorités sont les utilisateurs et le logiciel libre ». Faut-il rendre impossible l'installation de Debian aux propriétaires de matériel exigeant ces firmwares non-libres ? Ou faut-il faire une exception et autoriser ces firmwares non-libres dans une distribution qui se veut 100% libre ?

Il y a donc eu vote, et le résultat a été que les développeurs Debian préfèrent une sortie d'Etch à temps à la résolution définitive des questions de firmware. Alors que les versions de Debian ont toujours été marquées par une date de sortie « quand ça sera prêt », voilà un truc important qu'on décide d'ignorer pour respecter une date. Ça en a hérissé plus d'un, mais la situation n'est pas si grave que ça, l'option ayant remporté les suffrages présente, dans le texte qui l'accompagne, l'assurance suivante :

3. We assure the community that there will be no regressions in the progress made for freedom in the kernel distributed by Debian relative to the Sarge release in Etch

Ce ne sera donc pas pire que dans la version précédente, ce ne sera pas une régression. Ça rassure quand même.

L'autre sujet de controverse, c'est payer des développeurs, certains « release managers », avec l'espoir que ça leur dégage du temps, qu'ils n'aient plus que la sortie de Debian en tête pendant deux mois. J'étais en Charente, ou en Champagne, quand le sujet est arrivé, je n'ai donc pas trop suivi, mais de ce que j'ai pu suivre de l'historique, c'est « ah, on ne peut pas utiliser l'argent de Debian pour payer des gens ? Et bien on monte une structure à côté », ce qui est tout à fait légitime sauf que c'est le DPL (project leader) qui parle, et que face à des développeurs pas d'accord avec une action, dire tant pis, je la fais quand même, mais juste à côté, ça passe quand même mal.

Du coup des votes pour voir s'il fallait le destituer, le garder mais condamner le projet de payer des gens, etc. Résultat des votes : on garde le DPL et on souhaite bonne change à son projet. Ça énerve du coup pas mal des développeurs pour qui le travail apporté à Debian ne l'était pas pour des considérations économiques, des développeurs pour qui l'important est de sortir une version quand elle est prête et pas à une date figée, des développeurs qui se demandent pourquoi certains seraient payés et pas d'autres, etc. Grosse galère et démissions en série.

Street Party

Dans cette ambiance Debian déjà chargée, voilà le dernier débat, Mozilla, qui comme jamais aucun autre projet libre avant, décide d'utiliser le droit des marques pour se protéger, pour soi-disant protéger la réputation de qualité de leurs produits (Firefox et Thunderbird). C'est assez mal pris, assez mal présenté, ça énerve tout le monde, ça s'accuse dans tous les sens, ça fait du bruit partout.

Tout ça pour en résultat qui était connu depuis le début : Debian, pour pouvoir continuer à distribuer les produits Mozilla et en même temps garder le boulot d'adaptation à l'environnement (qui est justement le propre d'une distribution) ne peut plus utiliser le nom Firefox (ou Thunderbird (ou Seamonkey?)). D'où un fork.

Enfin là-dessus, le fond du problème pour moi, c'est que la mission de Mozilla (Foundation comme Corporation), c'est de promouvoir le choix et l'innovation sur internet, et que le fait que ce soit du logiciel libre, c'est limite plus un accident de l'histoire qu'autre chose. Choix et innovation, ça veut dire d'abord s'occuper de Windows, parce que ce n'est pas avec les trois pelés sous des systèmes libres qu'ils arriveront à 20%, 30% de parts de marché (parce que c'est ça qui est important). Alors au passage on oublie que pour décoller, c'est quand même pas mal la communauté, la communauté des utilisateurs et développeurs de logiciels libres, qui a aidé, qu'il n'y a pas beaucoup d'utilisateurs Windows qui se sont tapés Mozilla M4 et ses crashs.

Mozilla Foundation, Corporation, Europe, etc. le projet a aussi toujours été très centralisé, les décisions unilatérales ont rarement été justifiées (tiens, ça fait plus de trois ans que le support du MNG a été éliminé pour de mauvaises raisons, et il y a toujours des gens sur le bug qui ne désespèrent pas), ça a un passé d'entreprise, ça a toujours fonctionné comme une entreprise, jamais comme un projet libre, un projet né libre.

Dans ces deux derniers débats, interne à Debian et Debian/Mozilla, les francophones ont beaucoup fait parlé d'eux, et dans l'affaire Mozilla, les mots ont été durs entre les deux parties, avec des provocations plus ou moins gentilles des deux côtés.

La dernière provocation, c'était à des journées logiciels libres à Lyon, un stand Debian avec le logo Firefox barré, à côté du logo d'Iceweasel, la version forkée. Ça a étonnamment vite dégénéré par webblogs interposés et une cible de choix a été Daniel Glazman. C'est déjà partisan de dire que la cible était facile.

Toujours est-il qu'on est aujourd'hui lundi et que Daniel Glazman a fermé les commentaires et poste une petite discussion de week-end, billet dans lequel il rappelle que la GPL, c'est pas bien (parce que viral), que les partisans du logiciel libre, c'est des communistes et des anarchistes, et qui conclut en enlevant la seconde majuscule à Logiciel Libre, parce que le logiciel libre, c'est d'abord du logiciel.

Et c'est à ça que ça s'arrête, il le pense vraiment, c'est vraiment son opinion, ça sert à rien de mille fois lui dire que non, le logiciel libre, de l'avis de certains, c'est avant tout politique, et que ce n'est pas mal; que logiciels libres, OGM, nucléaire, nano-technologies, CPE, décroissance, anarchisme, on peut marier les luttes, quand on laisse sa majuscule à Libre.

Du coup c'est un peu long et les parties développées sont pas forcément celles que je voulais développer au début, mais jamais je ne relirai un texte, alors je poste ainsi. (de toute façon personne ne lit :) ).

Street Party